En matière de sécurité, la principale difficulté pour les autorités publiques et les gestionnaires d’équipements de jeu ou de loisir, c’est de trouver le juste équilibre entre les restrictions nécessaires (ou même les interdictions) et la liberté des pratiquants. Chez les enfants en particulier, la surprotection prive les enfants de leur autonomie ou la réduit exagérément, ce qui les empêche de se développer de façon complète. Voici à ce sujet une réflexion de Sylvie Melsbach, directrice technique de l'Institut québécois de la sécurité dans les aires de jeu (IQSAJ).
Il incombe à tout adulte qui prend soin des enfants des autres de maintenir des interventions « démocratiques » permettant à chacun des enfants de vivre librement son corps et d’explorer à fond un environnement riche en expériences adaptées à ce qu’il est. J’en suis convaincue, c’est la seule voie à prendre pour permettre à tout enfant de se former, de devenir un être indépendant et autonome, de développer sa capacité à prendre soin de lui-même. Il est essentiel que l’enfant puisse prendre des risques, se lever et marcher sans vraiment savoir le faire habilement, grimper pour une première fois lentement, tâtonnant pour s’adapter au fur et à mesure qu’il découvre et explore.
Cela signifie-t-il qu’il faut abdiquer tout devoir de surveillance? Bien sûr que non. Mais comment peut-on surveiller sans interdire, restreindre ou empêcher? Il faut garder le regard sur l’enfant en mouvement, libre de toute contrainte, se faire le témoin de ses efforts, de sa ténacité à trouver, de ses hésitations et de ses maladresses sans interventions inutiles. Ce regard sera bienveillant et enveloppant, générateur de courage.
La difficulté principale, c’est de résister à faire faire, à dire comment faire ou à faire à la place. On peut soutenir par un sourire, une parole bienveillante, mais on doit laisser l’enfant maîtriser la situation « dangereuse » dans laquelle il s’est mis, et s’émerveiller sur sa façon de s’y prendre pour s’en sortir. Tout ça dans un environnement qui a été sécurisé mais qui doit offrir des défis.
La surprotection
Les enfants d’aujourd’hui sont rarement laissés à eux-mêmes et ne peuvent plus aller jouer dehors seuls même quand ils sont en âge de le faire. L’époque est à la surprotection et à la crainte du risque. Or, la surprotection cache souvent un besoin d’adulte de s’autoprotéger pour ne pas avoir d’ennuis. Cette surprotection entraîne des limitations pour les enfants, qui ne peuvent plus alors se développer de façon optimale.
Les jeunes enfants, à mon avis, ont besoin d’adultes qui les encadrent et qui acceptent d’avoir peur pour eux, mais une peur maîtrisée qui rend juste vigilant et qui ne les empêche pas de prendre des risques pour relever leurs propres défis. En tant qu’adulte responsable d’enfants, il faut savoir vivre avec cette peur et l’accepter, c’est avec elle que l’on grandit et que l’on aide à grandir.
Une peur intelligente
Cette peur, qui porte tout autant sur la sécurité affective que sur la sécurité physique, doit devenir une peur respectable, pas une peur pour soi-même, mais une peur intelligente qui amène à être vigilant et à offrir un cadre équilibré qui assure la sécurité tout en autorisant (c’est le vrai sens du mot « autorité ») le difficile, l’exigeant et les défis.
Ce cadre est bien entendu un environnement, mais c’est aussi un code de conduites et de comportements qui se traduit dans un discours bienveillant mais ferme. L’adulte expliquera clairement et simplement les exigences. « Ici, tu ne peux pas sauter sur ta chaise ou monter sur la table, la chaise est faite pour s’asseoir, la table pour manger et travailler; là par contre, dans l’espace de jeu, tu peux sauter, te suspendre, glisser à plat ventre, et c’est seulement là que ça se passe. »
Une liberté à encadrer
L’enfant doit intérioriser ce qu’on lui dit de façon à savoir que ce qui est interdit ici peut être autorisé là. Il sait qu’il pourra bouger et jouer comme il veut dans certaines circonstances. Il s’agit pour l’adulte de lui indiquer un cadre d’action où il pourra exprimer sa liberté.
Les règles doivent toujours être expliquées. Et l’adulte doit être prêt à redéfinir ces règles avec l’enfant si elles ne conviennent plus ou ne sont pas adaptées, c’est le sens même de l’intervention démocratique.
Le risque zéro n’existe pas. Les enfants doivent apprendre des risques qu’ils prennent et nous devons les laisser prendre ces risques pour ne pas nuire à leur développement. Si notre peur devient handicapante pour les enfants, si l’angoisse que génère l’insécurité devient trop grande pour les autoriser à agir de leur plein gré, il vaut mieux renoncer à prendre la responsabilité de ces enfants, car elle deviendra un obstacle trop important pour leur épanouissement.